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Les suburi, pour quoi faire ?

En cette période d’arrêt des cours, nous sommes nombreux à nous concentrer sur un entraînement solitaire, notamment en utilisant les armes. Or le conditionnement à l’aide des armes en bois de différentes longueurs et poids est souvent très mal connu et compris. Lorsque l’on débute, cet entraînement va en effet simplement servir à s’habituer au maniement correct de l’arme. Mais, passé cette prise en main, faute de connaître les points techniques et les objectifs recherchés on risque de se contenter de simples répétitions sans intérêt.

Les suburi (sabre nu) sont ce qu’on appelle des tanren, des exercices de forge du corps. Ils doivent permettre d’approfondir des façons de se servir de notre corps propres à notre art martial.

Les principes. Chaque type de suburi permet de travailler à la fois des principes globaux qui sont communs à tous les suburi, tout en possédant des points qui lui sont spécifiques. Seules quelques pistes seront abordées ici, pour donner une idée de la richesse de ces « simples » exercices.

Le « premier suburi » au bokken se focalise sur l’attaque la plus simple, shomen uchi, c’est-à-dire une coupe de haut en bas sur le plan sagittal.

Dès ce suburi, l’un des points importants sera de conscientiser le travail des directions contradictoires. Qu’est-ce à dire ? En aïkido, on utilise parfois des expressions paradoxales telles que « reculer en avançant ». De même, on parle de « monter en descendant ».

La première expression signifie que lorsque tori absorbe une attaque, le cas échéant en reprenant un peu de distance, son intention doit être en même temps de faire irimi, à savoir entrer dans l’attaque, dans le corps d’aïte. Alors que tori absorbe, il rentre aussi. A partir d’un point situé au niveau du seika tanden de tori, on pourrait tracer une ligne horizontale avec des flèches dirigées à la fois vers l’avant et vers l’arrière pour représenter ce double mouvement simultané.

La seconde expression signifie que lorsque les bras se lèvent pour, par exemple, user d’un effet de levier afin de rediriger la force d’une saisie, le centre de gravité, lui, doit en même temps s’abaisser. C’est cet abaissement du centre de gravité qui permet l’utilisation du haut du corps sans tension inutile tout en évitant de se servir de la force des bras et des épaules. Ce mouvement interne pourrait être cette fois représenté par une ligne verticale passant par le seika tanden de tori, des flèches aux deux bouts de cette ligne étant dirigées à la fois vers le haut et vers le bas.

Nous obtenons ainsi une double extension avant / arrière et haut / bas. Or le premier suburi permet, entre autres, de se concentrer sur le travail d’extension dans ces quatre directions.

Un autre point abordé dans ce suburi est la mobilisation du bassin, qui est le moteur de tous nos mouvements en aïkido. En effet, lorsqu’on arme le bokken, le bassin opère un léger retrait vers l’arrière. Au moment de la coupe, il repart vers l’avant. Il est fondamental que le cœur de l’armé-coupé se trouve à ce niveau. Sans cela, notre coupe sera un mouvement mort lors duquel on se contente de monter et d’abaisser les bras en n’engageant que la moitié supérieure du corps. Pire, lorsqu’il faudra couper en avançant, on se contentera de faire un bête pas en avant alors qu’une coupe devrait être plutôt « projetée » par le mouvement directeur du bassin.

Ce ne sont que deux exemples de pistes de travail illustrées à l’aide du suburi le plus simple. Les détails, dont certains ne sont pas évoqués ici, doivent être expliqués in situ. D’autres suburi ajouteront des dimensions supplémentaires.

Mais, d’ores et déjà, que votre attention soit attirée sur le fait que chaque suburi est riche de principes à explorer qui forment une auto-éducation du corps et permettent de mieux comprendre et intégrer par la répétition des notions comme le shisei (posture, structure), le relâchement, le corps unifié, les directions contradictoires, l’utilisation du centre de gravité, la connexion entre le haut et le bas du corps, etc.

La vitesse. Travailler les suburi à un rythme soutenu n’a que peu d’intérêt, sauf pour « ramollir un peu la viande », la fatigue induite par des répétitions nombreuses et intenses causant parfois chez les pratiquants une détente qu’ils peinent à obtenir volontairement.

Mais pour un entraînement précis, on se limitera à des répétitions lentes, qui seules vont permettre de développer une conscience des mouvements suffisante pour comprendre et approfondir les principes sous-jacents. Il est en revanche possible de prolonger longtemps les répétitions, tant que votre concentration vous le permet. Si vous sentez que vous bougez « dans le vide », en pensant à autre chose, et que votre attention s’étiole, arrêtez ou faites une pause.  

Le poids. Au début, on travaillera avec les armes de base (500 g en moyenne). Plus tard, on pourra utiliser des armes d’entraînement plus lourdes, telles que le suburito (à peu près 1,2 kg) ou le furibo (jusqu’à 3 kg). Attention de ne pas aborder les suburi aux armes lourdes trop rapidement, au risque de se blesser. En aïkido, on critique souvent le recours à ce type d’armes, qui nous conduirait à ne faire rien d’autre que de la musculation.

Or, d’une part, croire qu’un physique affûté est incompatible avec un travail « sans force » est un préjugé malheureusement bien ancré dans le milieu de l’aïkido et une aberration sur le plan martial. Rien n’étaye pourtant ce préjugé (le fondateur ayant lui-même notoirement été une « force de la nature ») sauf à trouver des justifications à la mauvaise condition physique de trop de pratiquants – mais ce serait le sujet d’un autre article.

D’autre part, rien n’est plus faux en ce qui concerne les suburi lourds. En effet, dans un premier temps, ce poids supplémentaire va renforcer vos muscles, vos tendons et vos ligaments. Mais ces poids restent en vérité très modestes (pensez aux dizaines de kilos que soulèvent en réalité dans les salles les sportifs versés dans la musculation !), et ce renforcement superficiel va vite plafonner. Ce n’est pas ce qui nous intéresse, même s’il aura tout de même une utilité : sur le long terme, vous serez plus résistant et résilient face aux blessures.

Alors, pourquoi plus de poids ? Tout simplement parce que, du fait de l’inertie plus importante, du centre de gravité de l’arme plus éloigné du seika tanden, il va falloir approfondir le travail interne des principes afin de maîtriser ces armes en mouvement tout en utilisant le moins de tension possible, et en restant stable et relâché. Il ne s’agit bien sûr pas de jouer au bûcheron. Votre objectif devrait être que le poids de l’outil tende à devenir « transparent », comme s’il était intégré à votre corps. Il faudra chercher les chemins du moindre effort. Pensez à ces ouvriers ou à ces travailleurs de la terre qui tout en effectuant des tâches de force doivent économiser le plus possible leur énergie dans chaque mouvement afin d’arriver au bout de leur dure journée. La lenteur sera donc plus que jamais nécessaire.

C’est un travail avancé qui nécessitera prudence, patience et concentration.  

A l’inverse, il est aussi possible d’utiliser des bokken ultra-légers. L’intérêt est alors de travailler à éliminer les tensions parasites de vos mouvements : en effet, avec un bokken de ce poids, effectuer une coupe fluide et précise est beaucoup plus difficile, alors que le poids tend à gommer les défauts d’une coupe. Essayez : vous pourrez sans doute constater qu’avec un bokken léger (et même, déjà, avec votre bokken habituel) la ligne de coupe de votre shomen « tremble » et est parasitée par les tensions.

Voici quelques aperçus de cet entraînement en réalité très riche et souvent sous-exploité. Pourtant, au-delà des heures passées au dojo, il devrait constituer une routine régulière et indispensable. Le travail en solitaire à l’aide des suburi permettra d’aborder le travail technique avec plus d’aisance et sera gage de progrès plus rapides. Ce que vous y aurez appris devra être transposé dans le keiko avec partenaire, qui fera dès lors aussi office de test et de feedback pour votre travail solo.